Derrière les comptes instagram d’entrepreneurs et de coachs en motivation, la réussite n’est pas toujours au rendez-vous

Grosses cylindrées louées à la journée, glorification de la « start-up nation » et formations obscures : sur Instagram, les comptes de coaching destinés aux entrepreneurs en herbe pullulent et peuvent cumuler des centaines de milliers d’abonnés.

Par Melanie Mendelewitsch

Publié le 21 juin 2022 à 16h00

« Salut à toi, jeune entrepreneur » : les internautes atterrés et hilares découvraient en juin 2020 Jean-Pierre Fanguin, sa syntaxe approximative et ses costumes étriqués. Comme on pouvait s’y attendre, les bolides exhibés au fil des vidéos dans lesquelles il prétend avoir fait fortune grâce au trading et aux cryptomonnaies ne lui appartenaient pas. Entre-temps, Le Parisien et Les Jours ont révélé le système pyramidal de formations bidon de celui qui se décrit comme un « escroc bienveillant ».

Sur Instagram, Jean-Pierre Fanguin a fait des émules : inspirés par le culte du self-made-man et la tendance lourde du développement personnel tout droit débarqués des Etats-Unis, de nombreux comptes glorifient la figure de l’entrepreneur.

CITATIONS CREUSES ET NOVLANGUE

@mental_de_millionnaire, @motivationly_impact ou encore @millionnairesacademy… Opaques et formatés, certains de ces comptes cumulent plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Au programme, des citations creuses qui prêteraient à sourire si elles n’étaient pas postées au premier degré, et qui ne sont pas sans rappeler aux trentenaires l’époque bénie des Skyblogs : « La peur est une réaction, le courage est une décision », « On me déteste car c’est plus facile que de m’abattre » ou, encore, « Souviens-toi : personne n’a jamais réalisé l’impossible en restant prudent ».

On y trouve aussi des extraits d’interviews de businessmen supposés inspirants, de Marc Simoncini à Steve Jobs en passant par Marco Mouly, « roi de l’arnaque » autoproclamé et multicondamné. Des contenus sans valeur ajoutée repris de profil en profil, les mêmes personnes pilotant parfois plusieurs comptes de concert.

Les abonnés types ? Des hommes plutôt jeunes et souvent précaires, biberonnés aux réseaux sociaux et aux promesses d’argent facile

Leur dénominateur commun ? Une culture du secret largement montée en épingle : en cliquant sur les liens des bios Instagram, on se voit invité à rejoindre une newsletter privée ou un groupe prétendument « ultra-confidentiel » sur la messagerie Telegram. Les profils annoncent la couleur : « Comme moi, passez d’étudiant fauché à rentier en deux ans » ou « Rejoins une communauté de 80 000 ambitieux pour changer de vie ». Omniprésente également, la novlangue empruntée à l’univers du coaching incite à oublier tout ce qui nous a été enseigné afin de « changer de mindset » – d’état d’esprit, en anglais.

Les abonnés types, si l’on en croit les nombreux commentaires qui fleurissent sous ces publications ? Des hommes plutôt jeunes (entre 18 et 35 ans) et souvent précaires, biberonnés aux réseaux sociaux et aux promesses d’argent facile véhiculées par les influenceurs. La plupart d’entre eux revendiquent une volonté farouche de s’extraire de milieux modestes et de « quitter la rat race [“la course de rat”] métro-boulot-dodo ». L’expression « la course de rat » a été popularisée par Robert Kiyosaki, poids lourd du développement personnel à la sauce financière et auteur du best-seller Père riche, père pauvre, bible absolue d’un grand nombre d’aspirants entrepreneurs.

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GAGNER 5 000 DOLLARS « GRÂCE AU MÉTAVERS »

Curieux d’accéder aux secrets de la prospérité, nous rejoignons le compte Telegram relié au profil de @millionnaire.riche : au menu, des gros plans d’un poignet accessoirisé d’une montre hors de prix au volant d’une décapotable à Dubaï, des photos de sièges en classe affaires et des exhortations à « se détacher des pièges de l’ego ».

Mais, surtout, on y découvre des liens d’affiliation vers les derniers avatars à la mode des nouvelles technologies que le pseudo-businessman bombarde à sa jeune communauté : « Plans cryptopépites », NFT, « achat d’îles en metaverse », tout y passe. « Imagine, tu te lèves de ton lit, tu cliques sur un bouton et tu prends 5 000 dollars grâce à ton île », écrit celui qui se présente sous le prénom de Kev et n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Même son de cloche sur le profil @millionairesacademy, qui renvoie au compte Telegram d’un certain Adrien Templé. Entre deux copiés-collés sur le syndrome de l’imposteur et des photos de villas cossues assorties de la légende « j’hésite à investir », le jeune homme partage des liens de la plate-forme de trading Bitpanda, garantissant à ses abonnés des retours sur investissements conséquents.Lire aussi : Algérie : des influenceurs condamnés pour avoir arnaqué des étudiants

Son e-mail de contact renvoie à Business Royal, un site de « formation en ligne » épinglé en 2021 par le youtubeur Warketing dans sa vidéo « Martin Ménard de Business Royal n’existe pas ». On y apprenait alors que celui qui se présente comme le créateur de cette entreprise n’est autre qu’un personnage fictif créé à partir d’images libres de droit. Après nos sollicitations, nous recevons dans un premier temps une réponse d’un dénommé Gabriel Peyrot, qui ne donne finalement pas suite à notre demande d’interview.

« C’EST ADDICTIF, POUR PEU DE RÉSULTATS »

Du fait des joies de l’algorithme, on se voit vite bombardé de contenus similaires. Notre timeline Instagram grouille désormais de citations énigmatiques de Xavier Niel. Un matraquage intensif qui suffit parfois à convaincre certains jeunes un peu paumés, tel David.

« Si tu te fies aux réseaux (…) tu as l’impression que tout le monde est riche et passe sa vie en voyage. Ça peut donner des complexes » explique David

Vendeur dans une boutique de vêtements, le jeune homme de 27 ans, qui vit en banlieue parisienne, tire un bilan mitigé de son expérience. « Si tu te fies aux réseaux, entre la téléréalité, les crypto, l’immobilier et les influenceurs, tu as l’impression que tout le monde est riche et passe sa vie en voyage. Ça peut donner des complexes, explique-t-il au Monde. Alors ce genre de comptes qui te montrent qu’on peut réussir en partant de rien, cela donne espoir. »

Séduit par certains discours qui vendent l’illusion d’une communauté d’entraide, David a souscrit à plusieurs formations et investissements recommandés par les comptes Instagram auxquels il est abonné. « Il y a clairement un effet “matrixage” [lavage de cerveau]. Tu te dis que ce n’est que 200 ou 300 euros et que ça peut changer ta vie. Chaque jour, tu reçois de nouveaux plans en instantané et en continu. C’est addictif, pour peu de résultats à la fin. »

BON ET MAUVAIS FORMATEUR

Un classique système pyramidal, où celui qui s’est fait rouler doit à son tour trouver des clients à qui vendre sa success story imaginaire afin d’entrer dans ses frais ? Les comptes les plus en vue et les mieux structurés s’en défendent, mais reconnaissent de nombreuses dérives. A l’image de @motivation_france, l’un des rares comptes à créer son propre contenu, incarné par son cofondateur Anthony Jonas.

« Certains vendent des produits à plusieurs milliers d’euros, ce qui n’est pas notre cas. Si un client n’est pas satisfait de nos services, nous le remboursons sans problème », promet-il. Pour lui, « il y a le formateur qui promet des millions sans grand effort, et des formateurs pédagogues qui vendent de la stratégie et de l’organisation ». Suivis par près de 200 000 fidèles et assurant être transparents quant à leurs revenus, Rudy Bonte et Anthony Jonas développent leurs propres formations. Le duo accompagne également des abonnés dans leur parcours entrepreneurial, moyennant 2 500 euros pour trois mois de conseil et d’optimisation.Lire aussi : Article réservé à nos abonnésCes arnaques financières qui ciblent les jeunes sur les réseaux sociaux

Créateur du compte @empire_du_success et établi en région Rhône-Alpes, Lucas est quant à lui étudiant. S’il ne propose pas lui-même de formation, il joue le rôle de rabatteur pour le compte d’autres coachs et déclare sans détour percevoir grâce aux commissions un revenu mensuel complémentaire de 500 et 1 000 euros par mois. Comment s’assure-t-il de leur fiabilité ? « Je fais attention à ne pas mettre en avant n’importe quoi pour ne pas perdre en légitimité. Je fais le tri pour ne partager que les concepts qui valent la peine. » A l’en croire, il ferait mentir le cliché de l’entrepreneur flambeur.

Malgré ces bonnes volontés affichées, les clients ne sont pas dupes pour autant. Noah, étudiant abonné à plusieurs pages Instagram de ce type et, selon ses propres mots, « de plus en plus sceptique », nous raconte l’histoire d’un ami. « Il est à fond là-dedans, il a payé plusieurs formations, avant de créer sa propre page de motivation. Il poste des vidéos de Ferrari récupérées sur Instagram et des accessoires de luxe alors que je connais sa situation, et qu’il vit toujours chez ses parents… »

Même lassitude constatée chez @billions, un compte Instagram pourtant suivi par 1,1 million d’abonnés, dont le fondateur, en message privé, confie au Monde souhaiter « s’extraire de ce milieu où trop peu d’acteurs se professionnalisent » pour développer d’autres projets. « Fake it until you make it » : « Bluffez, jusqu’à ce que vous n’ayez plus besoin de le faire », la devise des aspirants millionnaires a semble-t-il du plomb dans l’aile.

Melanie Mendelewitsch

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