Elle | Août 2022

Faut-il (forcément) avoir recours à la chirurgie esthétique pour réussir en télé-réalité ?

Publié le 09 février 2022 à 18h30 En mettant en avant des jeunes femmes passées sous le bistouri de façon quasi systématique, les programmes de télé réalité façonnent de nouveaux canons de beauté parfois décriés.  Par Mélanie Mendelewitsch Le phénomène saute aux yeux à chaque zapping sur NRJ12 ou W9 : des multiples déclinaisons des « […]

Publié le 09 février 2022 à 18h30

Faut-il (forcément) avoir recours à la chirurgie esthétique pour réussir en télé-réalité ?
Faut-il (forcément) avoir recours à la chirurgie esthétique pour réussir en télé-réalité ? – © Getty – Robert Daly

En mettant en avant des jeunes femmes passées sous le bistouri de façon quasi systématique, les programmes de télé réalité façonnent de nouveaux canons de beauté parfois décriés. 

Par Mélanie Mendelewitsch

Le phénomène saute aux yeux à chaque zapping sur NRJ12 ou W9 : des multiples déclinaisons des « Marseillais » à « la Villa des Cœurs Brisés » en passant par les « Princes de l’Amour », les programmes de télé-réalité mettent en lumière des candidats aux physiques largement stéréotypés, peu représentatifs de l’ensemble de la société. Si les participants masculins affichent pour la plupart des corps tatoués, bronzés et athlétiques, les jeunes femmes semblent majoritairement avoir eu recours à la médecine et la chirurgie esthétique. Fesses, seins et hanches aux proportions irréelles, lèvres gonflées à l’acide hyaluronique et pommettes injectées dessinent le portrait-robot de ces jeunes filles âgées pour la plupart de la vingtaine, aux ressemblances parfois troublantes.

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Elles s’appellent Maeva Ghennam, Victoria Mehault, Jazz Correia, Manon Marsault, Jessica Thivenin, Marine et Océane El Himer, Giuseppa ou Laura Marra. Bien que certaines d’entre elles aient débuté leurs carrières au naturel, les jeunes candidates se sont pour la plupart métamorphosées au gré des années, sous l’œil médusé des téléspectateurs et de leurs centaines de milliers d’abonnés Instagram.

Décomplexées, elles dévoilent désormais leurs interventions de médecine et de chirurgie esthétique dans les moindres détails, au point même d’en faire la promotion auprès d’un jeune public à peine sorti de l’adolescence. A grand coups de stories filmées chez leurs médecins attitrés et de posts réalisés dans des cliniques esthétiques spécialisées, ces personnalités crées par le petit écran tendent parfois à banaliser des interventions qui n’ont rien d’anodin. En témoignent les tristes mésaventures d’Emilie Amar et Luna Skye, qui ont récemment pris la parole sur les graves problèmes de santé qu’elles rencontrent après avoir subi des injections de Hyacorp dans les fesses. Des modes de communication qui ouvrent la porte à de nombreuses dérives : certaines candidates de télé-réalité font même la promotion de praticiennes clandestines non autorisées à réaliser des injections, lesquelles requièrent impérativement le savoir-faire d’un médecin.

« LE TOURNANT, C’EST KIM KARDASHIAN »

La question se pose dès lors qu’on se penche sur ce type de programmes : pourquoi les chargés de casting de télé-réalité choisissent-ils en écrasante majorité des jeunes femmes refaites de la tête aux pieds ? Si Banijay, l’entreprise qui produit les programmes stars que sont les « Marseillais », « Objectif reste du monde » ou « l’Ile de la tentation », n’a pas répondu à nos sollicitations, certains casteurs sont plus loquaces en privé.
Autrefois en charge de recruter des candidates pour des émissions telles que « Les Anges » ou « La Belle et ses princes », Alexandra nous confirme cette volonté délibérée de mettre en avant des jeunes femmes aux physiques formatés : « Il y a quelques années encore, on cherchait des bimbos, des gogo danceuses. Des personnages hauts en couleurs voués à être noyés parmi d’autres profils, alors qu’aujourd’hui, ils constituent la majorité des candidats. Les programmes ont eu du mal à se renouveler et se sont enfermés dans des stéréotypes. Pour moi, le tournant c’est Kim Kardashian, devenue femme d’affaires multi millionnaire après avoir dévoilé sa vie quotidienne dans un programme de télé réalité et remodelé son corps et son visage. Elle a donné naissance à toute une génération de candidates comme Nabilla, dont Kim Kardashian était d’ailleurs le modèle. Il faut aussi prendre en considération qu’au fur et à mesure des émissions, les candidates s’enrichissent. Même celles qui ont débuté naturelles ont davantage de moyens financiers et souhaitent améliorer leur image en permanence, comme d’éternelles adolescentes. »

Un propos que nuance Wesley Nakache, fondateur de l’agence We Events qui gère les partenariats de Maddy Burciaga, Sarah Fraisou ou encore Leana « Ce n’est pas parce que beaucoup de filles font de la chirurgie qu’il s’agit d’une condition absolue pour réussir en télé-réalité. Des filles comme Coralie Porrovecchio ou Hillary sont naturelles, et cela ne les empêche pas d’être des candidates et influenceuses qui réussissent. Quasiment toutes les femmes sont préoccupées par leurs imperfections, et la médecine esthétique ou la chirurgie permettent d’y répondre, même s’il y a parfois des abus. La méchanceté des réseaux sociaux crée aussi des complexes, lorsqu’on lit à longueur de journées que son nez est trop gros ou sa poitrine trop petite, on ressent forcément une certaine pression quant à son apparence. En tant qu’agents, on ne recommande pas aux influenceurs d’inciter à la chirurgie car c’est quelque chose qui ne doit pas être pris à la légère et ils ont une responsabilité face à leur public, mais ils restent libres de parler de ce qu’ils veulent. »

DES NOUVEAUX STANDARDS DE BEAUTÉ POUR LES JEUNES

Le phénomène demeure pourtant alarmant selon Audrey, créatrice du compte Instagram @vosstarsenrealité qui décrypte les arnaques et dérives dont certains influenceurs de télé-réalité se rendent complices.
 « La télé réalité a amené de nouveaux standards de beauté, et certaines candidates se ressemblent tellement qu’on pourrait les confondre. Il y a une vraie uniformisation, et la jeune génération de candidates de télé-réalité commence désormais sa carrière avec ce type de physique retouché, déplore cette lanceuse d’alerte d’un genre nouveau. Quand on entend la candidate Jelena déclarer sur Instagram que la chirurgie esthétique est pour elle une « passion », je trouve cela inquiétant. On assiste à un phénomène d’addiction, certaines filles semblent parfois défigurées. Pour moi, les casteurs et les boites de production jouent un rôle dans ces dérives, et il est de leur ressort d’arrêter de normaliser cette banalisation. Les jeunes candidates développent sans cesse de nouveaux complexes, elles subissent du body shaming sur les réseaux sociaux, ce qui les pousse à toujours plus d’interventions. Selon moi, une telle exposition exige un accompagnement psychologique adéquat »

En pratique, quelles conséquences ont ces nombreuses interventions sur le jeune public des stars consacrées de la télé réalité ? De l’aveu de plusieurs médecins spécialisés, on constate une nette recrudescence des demandes en matière d’injections chez de très jeunes patientes tout juste majeures. Une tendance à la surenchère que confirme Scarlett Sillam, en charge de la communication des centres esthétiques Lazeo.
« Nous adoptons une approche naturelle, et nous postons des avant/après assez subtils afin de ne pas véhiculer une image too much, ni banaliser le trop plein d’injections. Notre crédo, c’est le « moi en mieux » mais pas l’ostentatoire. En effet, les médecins ont depuis quelques années affaire à des patientes très jeunes, en quête d’injections visibles. Ces derniers ont alors un rôle pédagogique, ils prennent en compte l’aspect psychologique et expliquent aux patientes qu’on peut les embellir sans pour autant les transformer »

Des conséquences que relativise néanmoins Alexandra, l’ex casteuse : « Certes, cette omniprésence de physiques uniformisés peut avoir une influence néfaste dans le cas de gamines complexées et mal entourées. Mais beaucoup de jeunes regardent ces programmes avec le recul nécessaire et comme du simple divertissement, en s’amusant volontiers des candidates et de leurs excès! »

Par Mélanie Mendelewitsch

Mélanie Mendelewitsch