Le Monde | Août 2022

Sur les réseaux sociaux, la traque aux arnaques d’influenceurs

Sur Instagram, YouTube ou Snapchat, des personnes dénoncent les produits frauduleux vendus par certaines stars de la télé-réalité. Rencontre avec ces justiciers d’un nouveau genre, qui déclinent la défense des consommateurs à la sauce réseaux sociaux.

Sur Instagram, YouTube ou Snapchat, des personnes dénoncent les produits frauduleux vendus par certaines stars de la télé-réalité. Rencontre avec ces justiciers d’un nouveau genre, qui déclinent la défense des consommateurs à la sauce réseaux sociaux.

Par Melanie Mendelewitsch Publié le 01 mars 2022 à 01h42 – Mis à jour le 01 mars 2022 à 04h34 

CAROLINE LAGUERRE

« Votre compte est d’utilité publique, vous devriez être remboursé par la sécu ! » 

Sur le compte Instagram de @menteuses_menteurs, les commentaires enthousiastes affluent par milliers. Suivi par 197 000 fidèles, ce profil dénonce les retouches photo outrancières de certains influenceurs. Ses cibles de prédilection ? Les candidats de télé-réalité qui abusent des applications FaceApp ou Facetune au point d’en devenir parfois méconnaissables. Des tromperies sur leur apparence qui tendent à devenir la norme, et sont d’autant plus problématiques que ces hommes et femmes-sandwichs rendus célèbres par le petit écran font la promotion de cosmétiques et de centres de médecine esthétique à leurs milliers de jeunes abonnés.

Difficile d’en savoir plus sur la personne à l’origine de ce compte : régulièrement menacée, la jeune femme de 21 ans qui milite activement pour l’acceptation de soi et le mouvement « body positive » préserve jalousement son identité – de même que l’ensemble des personnes que nous avons interviewées sur le sujet. Par message privé, elle nous envoie des copies de mises en demeure fantaisistes reçues sur Instagram, émanant d’avocats prétendant représenter des influenceurs épinglés sur son compte. Mais aussi des menaces de représailles physiques provenant de l’entourage d’influenceuses piquées au vif.

« J’ai créé ce profil pendant le confinement, écrit-elle. J’avais vu la photo d’une candidate de télé-réalité dont le papier peint semblait déformé à force de “photoshopper” sa poitrine et ses fesses. Des comptes similaires existaient déjà aux Etats-Unis, mais j’ai créé un équivalent français pour montrer qu’Instagram, ce n’est pas la réalité. »Lire aussi  Article réservé à nos abonnésPublicité par des influenceurs : pas de vide juridique, mais une méconnaissance des règles

Justiciers 2.0

Au-delà des comparaisons chocs de menteurs_menteuses, certains profils anti-arnaques proposent des contenus plus travaillés, agrémentés d’un éclairage juridique. Créés par des internautes aux profils disparates, ces comptes revendiquent un travail de pédagogie d’utilité publique. En investissant diverses plates-formes (Snapchat, TikTok, Instagram ou YouTube) et en peaufinant leurs tons et leurs identités, leurs animateurs estiment faire un travail de prévention nécessaire auprès d’une jeunesse peu informée.

Tous les partenariats frauduleux des stars du petit écran y passent, des injections d’acide hyaluronique clandestines aux contrefaçons d’accessoires de luxe en passant par les cryptomonnaies et autres NFT. Les justiciers 2.0 assistent les victimes d’escroqueries dans leurs démarches, assurant un suivi régulier. Et comme tout ce qui touche au milieu sulfureux des candidats de télé-réalité, le microcosme des comptes anti-arnaques a ses inimitiés et ses vendettas personnelles.

Celui qui se fait appeler Le Radis irradié en a ainsi fait les frais. Installé dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, cet ancien électricien s’est reconverti en observateur privilégié des arnaques en ligne. Fort de plus de 300 000 abonnés sur sa chaîne YouTube, il réalise des vidéos au ton décalé qui cumulent parfois plus d’un million de vues. S’il se met en scène à la façon d’un narrateur sarcastique, le trentenaire à lunettes, dont 48 % des abonnés ont entre 18 et 24 ans, préserve son identité et son lieu exact de résidence. Il confie en riant :

« En novembre 2021, le gérant d’une marque frauduleuse a lancé un appel afin d’obtenir des informations sur moi, avec prime à la clé. Il proposait seulement 5 000 euros de récompense. Je dois avouer que j’ai été déçu. Cela rend méfiant. Si je poste une photo où mon visage est visible, je m’assure de ne pas exposer ma femme, et de ne donner aucun indice sur ma localisation. »

Etablir une frontière nette entre activité en ligne et vie privée constitue aussi l’une des préoccupations majeures d’Audrey, créatrice du compte Instagram @vosstarsenrealité. La quadragénaire volubile que nous rencontrons dans un bar de l’Est parisien comptabilise près de 130 000 abonnés, et les pressions qui vont avec. Ses posts qui épinglent Maeva Ghennam, Manon Marsault, Sarah Fraisou et autres stars des « Marseillais » et de la « Villa des cœurs brisés » font grincer les dents de la grande famille de la télé-réalité : dès ses débuts sur Instagram, Audrey a reçu un courrier de mise en demeure envoyé par l’une des plus importantes agences de candidats de télé-réalité, à laquelle elle a répondu point par point.Lire aussi  Article réservé à nos abonnésLes influenceurs dans la ligne de mire des autorités financières

« Je donne rarement mon opinion, mon compte a une portée informative et pédagogique avant tout (…). Etant dans la prévention constante et apportant des preuves concrètes, une avocate qui me suit m’a assuré que je me trouvais dans les clous au regard de la loi », précise cette ancienne cadre dirigeante dans la restauration collective. Diététicienne de formation, elle s’est lancée dans la chasse aux arnaques après avoir vu une influenceuse « parler de perte de poids en enchaînant les contre-vérités », et consacre désormais 25 à 30 heures chaque semaine à traquer les escroqueries.

Dénonciateurs… et influenceurs

Les comptes anti-arnaques investissent aussi les plates-formes plus récentes prisées des 16-25 ans. En témoigne le compte Snapchat @fake_influenceurs, suivi par plus de 150 000 abonnés. Au téléphone, la jeune femme âgée de 22 ans, qui affiche Ibtissem comme prénom sur son profil, se confie : « Quand j’ai montré que les produits vendus par les influenceurs se retrouvaient à un quart de leur prix sur Aliexpress, mes réseaux sociaux ont fait un bond. Je commande des articles en ligne depuis que je suis mineure, j’ai une parfaite connaissance de ces outils-là. »

Entretenant un lien fort avec sa communauté, la jeune femme cible les marques suspectes grâce à des signalements, et ne manque pas de faire pression sur ces dernières afin d’obtenir réparation pour ses abonnés arnaqués :

« Quand une marque revient souvent parmi les partenariats des influenceurs, je sonde mes abonnés. J’étudie ensuite leurs retours en détail. C’est une activité chronophage mais je suis bien organisée. La journée, c’est moi qui vis, et les “snaps” que je poste ont été préparés en amont. Chaque soir, je laisse place à Fake_influenceurs : je prends deux heures pour épier, recouper des infos sur les numéros Siret, “faire la fouine” comme j’aime à le dire. Je n’ai pas vocation à apporter un éclairage juridique, certains sont plus pros et carrés que moi. Je propose donc plutôt un contenu léger, cool et fun. »

Mais peut-on déployer autant d’efforts pour chasser les abus tout en restant bénévole ? Si Audrey, de @vosstarsenrealité, insiste sur le fait qu’elle n’est pas rétribuée pour ses posts malgré de nombreuses propositions de partenariat, d’autres reçoivent de l’argent de façon occasionnelle, comme @fake_influenceurs, ou régulière, comme Le Radis irradié, dont la chaîne YouTube constitue l’unique source de revenus. Ce dernier sponsorise ses vidéos fouillées grâce à des marques partenaires, en donnant le détail au début de chaque vidéo : « Je reçois des propositions de placements de produits chaque semaine, parfois pour des partenariats frauduleux. Notamment pour un aspirateur à points noirs promu par tous les candidats de télé-réalité, auquel j’ai consacré une vidéo, mais pour en dénoncer l’arnaque ! »

Tous se défendent de favoriser le cyberharcèlement, une critique qui revient souvent dans la bouche de leurs détracteurs. Un fléau dont ils se désolidarisent dans chacun de leurs posts, rappelant constamment à leur jeune public de ne pas insulter les influenceurs ciblés, fussent-ils complices d’escroqueries.Lire aussi  Cyber-harcèlement : lancement d’une application d’aide aux victimes

Tous les quatre se désespèrent également de la passivité des pouvoirs publics, désarçonnés face au Far West digital que constituent les réseaux sociaux. « Les autorités sont en sous-effectifs. Malgré des cellules spécialisées, les choses vont trop vite pour leur permettre d’être réactives », déplore Audrey de @vosstarsenrealité, pourtant en lien avec certains organes gouvernementaux chargés de la répression des fraudes intéressés par son expertise. « Ils sont aussi très mauvais en termes de communication ! Quel jeune a envie de s’intéresser à des plates-formes aussi austères que SignalConso ou la DGCCRF [direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes] ? Ils ne maîtrisent pas les codes de la cible principale de ce type d’arnaques. Peut-être devraient-ils prendre quelques leçons auprès de Magali Berdah ! », ironise-t-elle à l’adresse de la plus célèbre des agents d’influenceurs, non sans un regard sur les centaines de notifications accumulées en quelques minutes sur son compte Instagram.

Melanie Mendelewitsch